Au fil des années, l'inventaire des mauvaises herbes présentes dans les champs du Québec a certainement évolué, façonné par le climat, l'environnement de croissance et les pratiques culturales, entre autres. Par contre, le défi qu'elles représentent pour les agriculteurs est toujours aussi important.
Déjà, en 1910, le professeur W. Lochhead du Collège Macdonald affirme, lors d'un discours, que « Pour la province de Québec, il n’est pas actuellement de problème agricole plus ardu que celui des mauvaises herbes. La multiplication de celles-ci devient véritablement inquiétante. On en voit partout dans les campagnes. Si elles continuent à se répandre sans que l’on prenne des mesures pour les détruire, il y a lieu de se demander ce que vont devenir les fermes. À moins que nous ne changions notre système de culture, il faudra les abandonner. »1 Au cours du siècle dernier, on peut donc facilement concevoir que les connaissances, l'expertise, la recherche et les solutions en lien avec la malherbologie et la phytoprotection ont grandement évolué.
Au début des années 1900, les premiers traitements contre les mauvaises herbes visaient principalement la moutarde, et étaient composés de sulfate de fer, sulfate de cuivre, ou même de sel de cuisine ! C'est en 1950 qu'est publié le premier guide d'emploi des herbicides, un feuillet de 24 pages réalisé par le Comité provincial pour la lutte aux mauvaises herbes. Le 2,4-D a fait son apparition, et durant cette période, le développement de nouveaux herbicides débute , mais les producteurs agricoles sont loin d'être convaincus de leur efficacité et de leur rentabilité.
Comment ça se passait dans nos business ?
Raymond Lemoine, t.p., conseiller d'expérience à l'Agrocentre Farnham, raconte que dans les années 1980, environ 7 matières actives sont utilisées dans la culture du maïs, dont l'atrazine, qui l'est abondamment, seule ou avec un surfactant. Elle procure alors une maîtrise adéquate des feuilles larges annuelles et des graminées vivaces, comme le chiendent. Cependant, quelques producteurs remarquent de plus en plus d'échappées de graminées annuelles. Au milieu de la décennie, le contrôle de celles-ci est un véritable défi : il faut alors apprendre à identifier correctement les différentes espèces et comprendre les modes d'action des herbicides qui ne sont pas classés par groupe à l'époque. De nouveaux produits de post-levée pour le contrôle des feuilles larges dans le maïs font leur apparition ; les conseillers commencent à recommander des mélanges et à peaufiner leurs recommandations puisque l'identification des mauvaises herbes et une application au moment propice aident à l'efficacité de la stratégie de désherbage proposée.
Vers la fin des années 80, les distributeurs et les détaillants de produits de phytoprotection s'impliquent pour mettre en place des mesures de sécurité pour les employés d'entrepôt et pour l'environnement, au niveau de la manipulation et de l'entreposage des pesticides. On assiste à une prise de conscience de l’impact négatif sur l’environnement et la santé humaine que peuvent avoir les pesticides. D'ailleurs, l'agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) voit le jour en 1995, avec comme mandat d'encadrer l'homologation des produits pouvant être utilisés au Canada, en tenant compte de leur « dangerosité » sur la santé humaine et sur l'environnement.
Au début des années 1990, la culture du soya prend de l'ampleur au Québec, diversifiant le choix d'herbicides, mais augmentant aussi la complexité de leur utilisation. Il fallait effectivement tenir compte du groupe utilisé dans le maïs l'année précédente, pour éviter des problèmes de phytotoxicité, surtout si un herbicide du même mode d'action était utilisé dans le soya également. Puis, une demie décennie plus tard, les herbicides de groupe 2 ont fait leur apparition, permettant un contrôle du chiendent dans le maïs, et de l'abutilon dans le soya, des mauvaises herbes jusqu'alors très difficiles à contrôler.
À l'arrivée des années 2000, les premières variétés de soya, puis les premiers hybrides de maïs résistants au glyphosate ont fait leur apparition. Cet ingrédient actif, bien que breveté depuis 1974, n'était utilisé jusqu'alors que pour « nettoyer » efficacement les espaces où aucune culture n'était désirée. Les OGM ont changé la donne, et les 20 dernières années ont été marquées par une forte, voire une surutilisation du glyphosate. Si cette technologie est efficace, son utilisation n'est toutefois pas toujours très « agronomique ».
La résistance des mauvaises herbes, un problème récent ?
Les premiers cas de biotypes résistants aux herbicides au Québec ont été identifiés en 1977. Raymond se souvient des premières observations de résistances des chénopodes blancs et de certaines amarantes à l'atrazine, dans les années 80. À ce jour, selon le plus récent Portrait de la résistance des mauvaises herbes aux herbicides au Québec (2011-2021), il existe des populations résistantes chez 15 espèces de mauvaises herbes, à l'un ou plusieurs groupes d'herbicides. Ce sont les résistances aux groupes 2 (nicosulfuron, rimsulfuron, imazéthapyr, etc), 9 (glyphosate) et 5 (atrazine, métribuzine) qui sont, dans l'ordre, les plus communes. C'est une réalité qui représente un défi supplémentaire pour les producteurs et leurs conseillers, qui ont un important rôle à jouer pour freiner le développement des résistances et la préservation des solutions de lutte chimique actuellement disponibles.
L'art de recommander
Au fur et à mesure du développement des connaissances, de l'augmentation du nombre d'herbicides et des inquiétudes liées à la surutilisation des pesticides, les conseillers ont amélioré leur processus de recommandations. Aujourd'hui, leur travail est encadré par des réglements, des guides de référence et des normes de bonnes pratiques professionnelles. Les conseillers du Réseau ont également accès à de nombreuses formations qui leur permettent d'être toujours à jour dans leurs connaissances, et à des outils technologiques facilitant le dépistage, la recommandation et le suivi au champ. Ils sont à même de recommander les meilleures solutions pour un désherbage efficace, qui limite les risques de développement de résistances et prend en compte la rentabilité et la pérrenité des entreprises de leurs clients.
En 2023, les problèmes liés aux mauvaises herbes sont toujours très présents, et le contrôle par des produits de phytoprotection demeure le moyen de répression le plus utilisé. Il nous appartient d'utiliser avec précaution et discernement ces outils que la science mets à notre disposition, dans une approche de lutte intégrée, afin d'optimiser tous les moyens pour livrer bataille à des ennemis toujours aussi redoutables !
1 Émond, G. & Bernier, D. (2008). Coup d’oeil sur 100 ans de lutte aux mauvaises herbes au Québec. Phytoprotection, 89(2-3), 103–106.
https://doi.org/10.7202/038238ar